Ecrit pour un concours. Je pense pas gagner.
Ne lisez pas si vous ne vous sentez déjà pas bien.
Enfin bon...
C'est bizarre, je préfère vous prévenir.
Bonne lecture!----------
L’ESPRIT DES AUTRES
Son nom ? Son âge ?
Quelle importance cela avait-il après tout ?
Ce n’était pas ce qui le caractérisait. Ce n’était pas par cela qu’on le connaissait.
Ce n’était plus par cela qu’il se connaissait.
Dès sa plus tendre enfance, il avait refusé de faire face aux sentiments ; ils lui faisaient trop mal, ils l’avaient toujours blessé. Il ne voulait plus montrer ses faiblesses.
Il ne voulait même plus les ressentir.
Ancrée dans son esprit d’enfant, cette idée de s’interdire toute réaction face aux événements avait grandi avec lui.
Inconsciemment, il avait construit des murs dans son esprit. Des murs si solides que plus rien ne touchait ni son cœur, ni son esprit, ni son corps, sans même qu’il ne se rende compte qu’il ne ressentait plus.
Les autres se désintéressaient de lui. Sans expression, sans semblant de vie humaine, il était comme transparent. Sa voix sonnait monocorde, jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une couleur qui résonnait dans son timbre.
Il faisait peur, au prime abord, et puis, très vite, il devenait transparent, une habitude, un élément du décor des autres, et on l’oubliait.
Il n’essayait pas d’aller vers les autres ; sa solitude, cette solitude qui l’avait toujours accompagné, il ne connaissait qu’elle. Il n’avait nul besoin de s’en défaire.
Le mot « amitié » n’avait aucun sens, tout comme le mot « relation ». Il l’écoutait sans l’entendre, le lisait sans le comprendre.
Et puis, un jour, une femme s’était intéressée à son cas.
Elle était tout ce qu’il y avait de plus normal. Pas trop jolie, intelligente ce qu’il fallait, mais cela, il s’en moquait. En vérité, il se moquait même éperdument d’elle.
Elle finirait par se lasser, comme les autres. Elle le laisserait seul avec sa tranquille solitude.
Pourtant cette femme, si banale fût-elle, n’agit pas comme les autres.
Elle était tenace. Elle voulait le faire parler. Entendre les vraies couleurs de sa voix. Voir une émotion sur ce visage de pierre.
Elle l’invita, plusieurs fois. Il refusa toujours.
Et puis, finalement lassé, il finit par accepter.
Son silence ne la rebutait pas, sans arrêt, elle revenait à la charge. Aussi, petit à petit, ces murs qu’il avait construits se virent modifiés, lentement, sans qu’il s’en aperçoive vraiment.
Dans ce mur si solide, elle ajouta une porte. Ou plutôt, une trappe. Discrète, souvent fermée, dont elle seule connaissait l’existence, qu’elle ouvrait à sa guise, difficilement au début, et puis de plus en plus facilement.
Il ne connaissait pas cette femme. Il ne savait pas exactement d’où elle venait. Il ne savait pas comment agir avec elle, que faire d’elle. Elle brisait sa monotonie, la solitude dont il s’était toujours enveloppé.
Il la voyait, tous les jours, au bureau. Et puis, elle venait vers lui.
Elle lui avait raconté toute sa vie. Il l’avait écoutée distraitement, répondant brièvement, tentant de fuir ses dialogues qui mettaient tout son mode de vie en danger.
Et pourtant, elle finit par en savoir autant de lui qu’elle lui en avait appris d’elle.
Et pour finir, sans même s’en rendre compte, il l’avait aimée.
Probablement pas comme on entend aimer... Aurait-il seulement su le faire ?
Il ne l’avait pas repoussée.
La porte qu’elle avait posée sur le mur de son esprit avait pris de l’importance.
Elle avait grandi.
Moins seul dans sa solitude, il avait appris à vivre avec cette présence
Ils avaient vécu de cette façon quelques temps, ensemble, sans l’être vraiment...
Le nom de cette femme importe moins encore que le sien. L’important était qu’ils avaient cheminé ensemble...
...Et puis, quelques mois plus tard, qu’elle s’était éteinte.
On l’appela chez lui, pendant la nuit. Il était le seul numéro qu’elle avait sur elle au moment de l’accident.
Il ne comprit pas. Perdu, il vit lentement le destin lui ôter malicieusement ce qu’il lui avait apporté, ce qui était devenu une part de son quotidien...
C’est à côté du lit blanc, comme il regardait sa poitrine se soulever de plus en plus imperceptiblement, que la noyade eut lieu.
Alors même qu’il réalisait lentement ce qu’il avait vécu, ce qui était en train de se dérouler, ce qu’il allait perdre, la porte si fragile qu’elle avait créée s’ouvrit brusquement, et par elle déferla tout ce qu’il avait toujours refoulé.
Le barrage céda, ce mur si solide qu’il avait construit tout au long de sa vie...
Et soudain, il ressentit. Comme il posait les yeux sur elle, sans pouvoir comprendre, il ressentit la rage de vivre, le refus de partir, la perte de confiance, la faiblesse désespérée, la tristesse d’être englouti.
Tant de choses dont il ne se rappelait plus, qu’il n’avait enfoui depuis si longtemps...
Il posa sa main sur la main déjà froide reposée sur le drap, fixant les yeux clos.
Le flot tourbillonnait toujours dans son esprit, très, trop vite. Il ne savait plus comment gérer les sentiments qui l’envahissaient. Il avait oublié à quel point tout cela pouvait être douloureux.
Soudain, il perdit pied. Comme la poitrine retombait pour la dernière fois, tout devint noir et il coula.
Ils le réveillèrent. Il ne savait pas ce qui s’était passé, ni le temps qui s’était écoulé. Ils étaient trois autour de lui, tout en blanc.
Curiosité. Intérêt.Il fronça les sourcils et essaya de se relever du lit blanc où il s’était retrouvé. Tout autour de lui était également blanc, trop blanc. Dans la pièce régnait le silence, un silence pesant, seulement troublé par le vrombissement d’une machine, ainsi que des bips émis régulièrement, qui résonnaient et bourdonnaient dans son esprit.
Il ne put se relever totalement. Il s’empêtra dans des fils qui le retenaient en arrière.
Les trois hommes le regardèrent faire attentivement.